Philippe Maupeu, Voies allégoriques et stratégie narrative de l'oubli (Guillaume de Digulleville, Thomas de Saluces), Etudes de lettres, 1-2, 2007 : p. 179-202
2 voies allégoriques du XIVe s., le "Pèlerinage de vie humaine" de Guillaume de Digulleville et le "Chevalier errant" de Thomas de Saluces, illustrent la fonction stratégique de l'oubli dans la littérature allégorique narrative. Dans le "Pèlerinage", l'oubli est l'envers d'une mémoire éthique annexée à la Prudence. Une amnésie coupable entraîne l'errance du pèlerin narrateur sur la voie des vices et rend de fait possible le récit; le discours édifiant tenu par les personnifications trouve dès lors une justification narrative. Chez Thomas de Saluces, l'instruction pastorale n'occupe que la dernière partie du roman. Auparavant, le narrateur s'ingénie à "mettre en oubli" les cadres structurels du discours édifiant pour donner libre cours à une forme d'errance narrative qui échappe en grande partie à la moralisation ; les nombreuses réminiscences littéraires contribuent à cette oblitération de la "memoria" comme "habitus" moral. Ces 2 récits montrent que l'oubli est le pivot narratif d'une littérature romanesque irréductible au discours édifiant, voué à l'édification de la mémoire, qu'elle véhicule.