Christian Barataud (éd.) et Danielle Trudeau (éd.), Bertrand de La Borderie, Le Discours du voyage de Constantinoble (1542), Textes de la Renaissance, 67, Paris, Champion (rééd. Garnier), 2003 (rééd. 2007)
Septembre 1537: Bertrand de La Borderie est envoyé en mission dans l'Adriatique par François 1er. Son rôle: retrouver La Forest. Marillac, Saint-Blancard et l'armée ottomane pour les informer des dernières décisions du roi en ce qui concerne le plan d'invasion de l'Italie. Pour tromper l'ennui et l'angoisse d'être oublié par sa fiancée, le jeune homme entreprend de coucher par écrit le récit de son voyage. L'expédition semble d'abord réussir: au début du mois d'octobre, les Turcs se replient et les Français prennent le chemin du retour. Cependant, après avoir essuyé une violente tempête dans la mer Ionienne, ils renoncent à rentrer en France et cherchent un port d'accueil en Grèce. Lorsque, à bout de ressources, la flotte s'arrête à Chio, Bertrand de La Borderie passe sur le continent d'où, déguisé en turc et accompagné d'un guide, il se rend à Constantinople. Première description en français, depuis 1453, de la Grèce et de Constantinople sous contrôle turc, le Discours cumule bien des singularités. Il se présente comme une épître en vers dans laquelle se mêlent mythologie et foi évangélique, rappels historiques et observation des réalités, propagande politique et réflexion sur le destin. L'amour est le fil conducteur de l'aventure, le seul palliatif aux épreuves que traverse l'auteur, cependant que l'imagination et les souvenirs livresques viennent vivifier le spectacle désolant de la Grèce, héroïne «en creux» du récit, qui tend les bras vers qui saura sauver son héritage. Ce sera, à sa façon, La Borderie, peu helléniste, mais qui pressent bien tout le bénéfice que la France gagnerait à prendre la succession des Grecs. Si la critique, éblouie par l'avènement prochain de la Pléiade, a longtemps tenu cet ouvrage pour mineur, une approche synchronique du Discours permet aujourd'hui de mieux caractériser la culture dont il témoigne. Celle-ci apparaît comme une synthèse originale de la doctrine courtoise, de la connaissance moralisée des auteurs antiques et de l'expérience mystique d'une traversée. C'est ainsi une cartographie très originale qui se dessine sous nos yeux, celle d'une initiation sur plusieurs plans, dont les contemporains plagieront la lettre sans toutefois jamais en reproduire l'esprit.