Olivier Sécardin, Rome en apparence, France en vérité : une étude du sonnet 86 des Regrets de Joachim Du Bellay, RELIEF - Revue électronique de littérature française, 12, 2018 : p. 7-22
Contrairement aux Antiquités, Les Regrets ne présentent plus aucun éloge de « l’estrangeté » italienne. L’antique patrie poétique cesse de chanter aux oreilles du poète. À la cour romaine, le poète ne lit plus sur les corps que les règles articulées d’un code. Ce langage est celui de l’hypocrisie capable de faire tous les mensonges et de contrefaire toute sincérité. Ce n’est plus l’italien des poèmes de l’Arioste que Du Bellay admirait tant, mais l’italien des intrigues pontificales, l’introduction du théâtre dans la vie sociale. Au contraire de la parole des courtisans où la subjectivité maximale, celle du mensonge et de l’ambiguïté, va de pair avec l’occultation de l’acte de parole, chez Du Bellay le discours authentique – franc – est tel parce qu’il s’affiche tel quel. De sorte aussi qu’on ne puisse vraiment écrire « franc » qu’en France : la morale du voyage est bien de s’en retourner. Mais ce retour en France, s’il est placé sous le triple signe de la misère, de la maladie et de la dette, signe aussi une conversion éthique : à savoir que si Rome est en apparence, France est en vérité. Chez Du Bellay, perdre son latin et trouver les mots pour le dire ne vaut rien sinon un regret. Unlike Les Antiquités, Les Regrets does not praise the foreignness and exoticism of Italy. The poet no longer finds music in the ancient poetic fatherland; instead, all that he can read from the bodies of the Roman court is the structured rules of a code. A language of hypocrisy reigns, a language of spun lies and feigned sincerity. This is not the Italian of Ariosto’s poems, which Du Bellay so admired; this is the Italian of papal plots and the dramatic arrival of theatre in social living. Unlike the courtesans, whose subjectivity, lies and ambiguity go hand in hand with the way they conceal their speech, Du Bellay believes that authentic, frank discourse can only be what it is if it presents itself as it is, unaltered. For him, this means that it is only truly possible to write “frankly” in France, and so the moral of his journey is that he will return from it. But though he is laden with poverty, disease and debt, the poet’s return to France also signifies an ethical conversion: whereas Rome is a façade, France is the truth. For Du Bellay, forgetting his Latin and finding the right words is worth nothing but a regret.